mardi 30 décembre 2008

Perte progressive de soi, François Teyssandier


Il était en train de dîner avec sa femme lorsque son nez tomba brusquement dans son assiette. Son épouse poussa un cri de frayeur. Lui ne broncha pas, comme s’il s’attendait à cette chute.

- Tu as perdu ton nez ! dit-elle en fixant son mari avec une lueur d’épouvante dans le regard.

En effet ! répondit-il d’une voix placide.

Son flegme irrita son épouse.

- Quelle horreur ! s’écria-t-elle, en compressant de ses mains ses joues un peu molles.

- Du calme, ma chérie !

- C’est bien la peine que je te prépare de bons petits plats ! dit-elle en esquissant une grimace de dégoût.

De sa fourchette, il repoussa son nez vers le bord incliné de l’assiette.

- Mon nez n’est pas assez beau pour en déplorer la perte, n’est-ce pas ? demanda-t-il après un court instant de silence.

- Tout de même ! répondit-elle d’un ton moins revêche pour ne pas blesser davantage la susceptibilité de son mari. Mais tu vas faire comment pour te moucher ?

- Ce sera plus délicat, en effet ! concéda-t-il.

- Plus bruyant, surtout !

Il ne répondit rien et se contenta d’envelopper méticuleusement son nez dans sa serviette.

Quelques jours plus tard, au réveil, il sentit sur son oreiller la présence d’un objet bizarre qui n’aurait pas dû se trouver là. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu’il s’agissait d’un de ses yeux. Après vérification en palpant son visage, il s’aperçut que l’œil droit s’était échappé de son orbite pendant qu’il dormait. Il ramassa la petite boule gélatineuse et la posa délicatement sur la table de nuit, pour ne pas réveiller sa femme qui ronflait à ses côtés. Puis il se leva et se dirigea vers la salle de bains. Dans la glace fixée au dessus du lavabo, il observa son visage de son œil valide. A la place de l’autre, il y avait un trou sombre qui s’évidait vers l’intérieur sans qu’il en aperçût le fond. Il entendit sa femme qui se tournait dans le lit en geignant faiblement. Elle n’allait pas tarder à se réveiller. Il regagna la chambre d’un pas alerte, en affichant un sourire contraint sur ses lèvres.

- Tu as bien dormi ? demanda-t-il à son épouse.

- Hein ? grommela celle-ci d’une voix rauque.

- Est-ce que tu as bien dormi ? insista-t-il.

- Pourquoi tu me poses cette question ?

- Pour savoir si tu as bien dormi !

- D’habitude, tu ne me le demandes jamais, s’étonna-t-elle en redressant son buste dans le lit.

- Ce matin n’est pas un matin comme les autres…

- Pourquoi donc ?

- Je viens de perdre un œil ! murmura-t-il.

- Un œil ?

- Oui. Le droit.

- Te voilà donc devenu borgne ?

- Je le crains !

- Tout ça ne va pas améliorer la beauté de ton visage ! s’écria sa femme d’un ton ironique.

- Non !

- Ni améliorer ta vision…

- Encore moins, en effet !

- Mais par pitié, ne laisse pas traîner ton œil sur la table de nuit !

- Comment sais-tu que je l’ai posé là ?

- Je m’en doute, tu ne jettes jamais rien à la poubelle !

- On ne sait jamais, tout peut resservir!

- Un œil, tu ne peux pas savoir comme ça prend la poussière !

- Tu as raison, autant s’en débarrasser au plus vite !

- Est-ce que tu te sens, malgré ton infirmité, capable de préparer le petit déjeuner?

- Bien sûr, chérie !

- Alors file à la cuisine préparer le café, s’il te plaît, mais fais bien attention à ne pas te cogner la tête dans la porte ! dit son épouse en bâillant.

Quand il découvrit, le lendemain, son oreille gauche sous la table basse du salon en passant l’aspirateur, il l’observa avec minutie. Il avait toujours été très fier de ses oreilles. Elles lui rappelaient celles de son père. Finement ourlées, elles étaient d’une taille parfaite. A ses yeux, du moins. Sa femme, par contre, trouvait qu’elles étaient un peu trop poilues. Même pour un homme. Il prit son oreille entre le pouce et l’index, et l’apporta à son épouse qui s’affairait à la cuisine en vue du repas de midi.

- Qu’est-ce que tu vas en faire ? demanda-t-elle, plus par politesse que par curiosité.

- Je vais la ranger dans une boîte ! répondit-il.

- Pas dans ma boîte à bijoux, j’espère ? s’inquiéta sa femme.

- Non, bien sûr, mon oreille ne vaut pas assez cher ! plaisanta-t-il.

- Tu pourrais la mettre dans un bocal ! suggéra-t-elle.

- Un bocal rempli de formol, tu veux dire ?

- Comme ça, on pourrait la montrer à nos amis quand ils viennent dîner !

- Je ne suis pas sûr que ça les passionne beaucoup!

- C’est tout aussi agréable à regarder que des photos de vacances, non ?

- Je crois plutôt qu’elle va finir au fond d’un tiroir…

Il observa sa femme qui s’activait à éplucher des carottes. La mine soucieuse et le front plissé, elle semblait réfléchir intensément.

- J’ai une idée, mon chéri ! s’écria-t-elle soudain en portant son Econome à ses lèvres, au risque de les écorcher.

- Dis toujours…

- Si on attendait que tes deux oreilles soient tombées… ?

- Pour en faire quoi ?

- Des pendentifs !

- Tu serais prête à les porter ? demanda-t-il avec un soupçon d’incrédulité dans la voix.

- Pourquoi non ? répondit-elle d’un ton badin.

- C’est une drôle d’idée !

- En sautoir, elles iraient à merveille avec mon tailleur rouge !

Il emballa soigneusement l’oreille dans du papier aluminium, et la déposa sur une étagère du réfrigérateur, entre un pot de confiture à la rhubarbe et un reste de cervelas.

- Mais comment vas-tu faire à présent pour porter tes lunettes ? demanda sa femme en épluchant un oignon.

- Je vais acheter des lentilles, répondit-il.

- Une seule suffira, précisa-t-elle.

- C’est vrai, tu as raison !

- Mais je t’aimais mieux avec des lunettes…

- Ne pleure pas pour ça, ma chérie !

- C’est l’oignon ! soupira-t-elle en reniflant.

C’est alors qu’il se trouvait au théâtre, en compagnie de sa femme, qu’il perdit l’auriculaire de la main gauche. En plein représentation de L’Annonce faite à Marie. Il se trouvait au premier balcon face à la scène, les bras appuyés sur le rebord en velours cramoisi, lorsque le petit doigt se détacha de sa main et chut dans le décolleté d’une spectatrice dont la poitrine généreuse s’exposait aux regards de tous. La femme, surprise par ce corps étranger qui s’immisçait entre ses seins, poussa un cri de frayeur qui secoua le rang tout entier. Elle se dressa comme si elle avait été piquée par une guêpe, en agitant ses bras nus pour se débarrasser de ce corps insolite. Son agitation aussi imprévue que grotesque interrompit la représentation. En effet, les acteurs, pensant qu’un spectateur avait été pris de malaise, s’arrêtèrent de déclamer leur texte, une lueur d’inquiétude et de contrariété dans le regard. La femme parvint à récupérer l’auriculaire en farfouillant entre ses seins. Quand elle s’aperçut que la chose en question était un doigt, elle poussa un nouveau cri qui glaça le sang de la salle tout entière. Puis elle jeta avec dégoût vers un rang plus lointain ce bout de chair et d’os qui commençait à se raidir. Les acteurs, de plus en plus perplexes, s’interrogeaient entre eux à l’avant-scène sur les raisons d’une telle attitude de la part de cette spectatrice. Peut-être n’aimait-elle pas le symbolisme trop flamboyant de la pièce, pensèrent-ils dans un premier temps ? Ou peut-être était-ce la mise en scène pas assez exotique qui l’avait irritée au point qu’elle manifestât bruyamment sa désapprobation ? En fin de compte, la salle exigea que la spectatrice sortît le plus vite possible pour que la représentation puisse reprendre son cours normal. Ce que la femme refusa de faire, arguant d’une voix criarde qu’elle avait retrouvé tous ses esprits. Le calme une fois revenu, les acteurs se glissèrent à nouveau dans la peau de leur personnage et poursuivirent la représentation.

Quand il s’aperçut que son auriculaire s’était détaché de sa main gauche, sans qu’il éprouvât la moindre douleur, il se garda bien de réclamer son doigt. Il se fit, au contraire, très discret, comme si le brouhaha généré par cet incident ne le concernait pas. Sa femme, absorbée par le jeu subtil des acteurs et émue jusqu’aux larmes, ne s’était aperçue de rien. Agacée par la brutale interruption de la pièce, elle avait cherché dans le regard de son mari une explication à ce chahut inopiné. Mais son mari, en retour, ne lui avait renvoyé qu’une totale absence de vie dans son oeil mi-clos. Même son visage, d’ordinaire plutôt enjoué, n’offrait aucune expression particulière. Cette froideur de statue, bien masculine pensa sa femme avec amertume, la fit soudainement exploser de colère, alors que la représentation venait juste de reprendre.

- Pourquoi tu ne dis rien ? murmura-t-elle d’une voix sèche à l’oreille de son mari, celle qui s’accrochait encore tant bien que mal à son visage.

- Tu vois bien que le calme est revenu, à présent…

- Il faut toujours qu’on tombe sur des femmes hystériques !

- C’est sans doute Claudel qui veut ça ! dit-il en plaisantant pour détendre l’atmosphère.

- Tais-toi donc, je n’ai pas envie que nos voisins t’entendent dire des bêtises !

- Tout ça pour un pauvre petit doigt…soupira-t-il.

- Mais de quel petit doigt parles-tu ? s’inquiéta soudain sa femme.

Il comprit qu’il venait sottement de se trahir.

- Je disais ça juste pour dire quelque chose !

- Je parie que tu viens encore de perdre un morceau de ton corps !

- Excuse-moi, je ne l’ai pas fait exprès…

- Et de quoi s’agit-il, cette fois-ci ?

- Je viens de perdre l’auriculaire de ma main gauche !

- Tu aurais pu attendre au moins la fin de la représentation !

- Je ne maîtrise plus ce genre de chose, tu le sais bien !

Sa femme se leva d’un bond, avant même qu’il ait eu le temps de l’en empêcher.

- Pouvez-vous rendre son petit doigt à mon mari, s’il vous plaît ! s’écria-t-elle d’une voix tonitruante.

Des protestations indignées s’élevèrent aussitôt dans la salle.

- Est-ce que quelqu’un l’a récupéré ? demanda-t-elle à la cantonade.

- Taisez-vous ! cria une voix d’homme.

- Si c’est vous qui l’avez, monsieur, je vous demande de nous le rapporter immédiatement !

- C’est une folle ! s’indigna une femme âgée.

- Ce doigt est à mon mari, et à personne d’autre ! insista-t-elle.

- Interrompre une pièce de Claudel pour si peu ! s’écria un jeune homme aux cheveux gominés.

- Faites-la taire !

- Qu’elle sorte !

D’autres voix agacées se firent l’écho de cette injonction brutale. Les acteurs, une nouvelle fois, furent obligés de s’arrêter de jouer. Regroupés à l’avant-scène, ils mêlèrent leurs récriminations aux invectives générales, menaçant d’interrompre définitivement la représentation si le chahut ne s’arrêtait pas sur le champ.

Il essaya, quant à lui, de faire taire sa femme, mais n’y parvint pas. Elle s’obstinait à vouloir récupérer l’auriculaire de son mari.

- Laisse tomber ! lui ordonna-t-il en lui pinçant le bras.

- Pas question, ce petit doigt t’appartient ! répondit-elle.

Il l’entraîna de force dans le couloir, après une courte lutte.

- Alors, comme ça, tu capitules ? s’indigna-t-elle en le fusillant du regard.

- Ce n’est qu’un doigt ! soupira-t-il.

- Tu n’as jamais eu le sens de la propriété, c’est vrai, mais à ce point-là!

- Sortons, tu n’as plus toute ta raison, ma chérie !

- Pauvre Claudel, il ne mérite vraiment pas ça !

Elle se mit à sangloter dans les bras de son mari. Il lui caressa les cheveux en lui murmurant des mots tendres à l’oreille. Elle essuya ses larmes et cessa de hoqueter. Mais son ressentiment ne s’atténua pas pour autant. Ils rentrèrent chez eux en taxi, sans échanger un mot. Exténués par leur soirée, ils allèrent aussitôt se coucher.

Un matin de Décembre, il décida qu’il lui fallait des chaussures d’hiver, en prévision de la neige que la météo annonçait pour les jours à venir. Sa femme tint à l’accompagner. Il avait absolument besoin de son avis, lui dit-elle. Ce qui l’énerva un peu. Il était assez grand, pensait-il, pour choisir tout seul une paire de chaussures à sa convenance. Mais il n’osa pas répondre à sa femme qu’il ne souhaitait pas sa présence. Il ne voulait pas envenimer davantage leurs relations qui n’étaient guère au beau fixe depuis quelque temps. Ils entrèrent donc ensemble dans un magasin. Une jeune vendeuse, tout ébouriffée et court vêtue, se précipita sur lui en affichant un sourire aguicheur qui déplut aussitôt à son épouse.

- Que désirez-vous, monsieur ? demanda l’accorte vendeuse.

- Une paire de chaussures ! répondit-il

- Evidemment ! éructa sa femme en haussant les épaules, comme pour s’excuser de la bêtise de son mari.

- Ca tombe bien, nous ne vendons que des chaussures ! minauda la jeune fille.

- On s’en serait douté ! grommela l’épouse.

- Il paraît que l’hiver va être très froid, aussi je voudrais acheter une paire de chaussures à la fois chaudes et confortables, dit le mari sans reprendre son souffle, comme s’il cherchait à se débarrasser au plus vite de la phrase..

- En somme, vous voulez des chaussures d’hiver ! résuma la jeune vendeuse en passant le bout de sa langue rosâtre sur ses lèvres charnues.

- Voilà ! dit-il

- C’est, en effet, ce que cherche mon mari !

- J’avais compris, madame ! répliqua sèchement la jeune fille.

Elle pria l’homme de s’asseoir sur une chaise et disparut dans la réserve attenante au magasin. Elle réapparut quelques minutes plus tard, portant dans ses bras plusieurs boîtes de couleur marron qui contenaient des modèles différents. Elle déballa les chaussures pour les montrer à l’homme.

- Je vais essayer cette paire-là ! dit-il soudain.

C’étaient des chaussures noires à semelle épaisse et à tige montante.

- Excellent choix, monsieur ! s’écria la vendeuse agenouillée aux pieds de l’homme, offrant au regard de celui-ci une vue imprenable sur ses cuisses fuselées.

Il se tourna vers sa femme par pure politesse.

- Qu’est-ce que tu en penses ?

- C’est toi qui vas les porter, non ?

- En principe, oui ! ironisa-t-il.

- Tu devrais tout de même les essayer !

- Comment trouvez-vous ces chaussures, mademoiselle ? demanda-il à la jeune vendeuse.

- Elles vous iront à merveille ! répliqua celle-ci.

- N’est-ce pas ? dit-il d’une voix qui se voulait badine.

La jeune fille lui présenta la paire de chaussures. L’homme se débarrassa de celles qu’il portait en entrant dans le magasin. Il se retrouva donc en chaussettes. Par chance, elles n’étaient pas trouées ! Mais il eut la désagréable impression que quelque chose clochait. Une sensation bizarre qu’il ne parvenait pas à s’expliquer.

- Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda sa femme.

- J’ai l’impression de ne plus avoir d’orteils !

- Enlève tes chaussettes, tu verras bien !

Ce qu’il s’empressa de faire. Il retira sa chaussette droite. A peine l’eut-il enlevée que ses cinq orteils roulèrent sur la moquette du magasin. La jeune vendeuse poussa un cri et s’évanouit aussitôt. Quand il retira la chaussette gauche, le même spectacle s’offrit à ses yeux éberlués. Ses pieds n’avaient plus aucun orteil. Ils ressemblaient à des moignons parfaitement lisses, sans la moindre cicatrice apparente.

- C’est incroyable ! dit sa femme.

- Je m’y attendais un peu ! soupira-t-il.

- Bien sûr ! Rien ne t’inquiète jamais, n’est-ce pas ?

- Perdre ses orteils, ce n’est tout de même pas la fin du monde !

- Et comment tu vas faire, à présent, pour marcher ? s’exclama son épouse d’une voix plaintive.

Pour toute réponse, il se contenta de hausser les épaules en appréciant le corps svelte de la jeune vendeuse toujours allongée sur le sol. La patronne du magasin tentait de la réveiller en lui tapotant les joues. La jeune fille finit par ouvrir un œil, puis l’autre. Mais en apercevant les dix orteils qui traînaient par terre au milieu des cartons à chaussures, elle retomba sans coup férir dans les pommes.

- Excusez-la, dit la patronne, elle est très sensible !

- Elle n’est surtout pas faite pour ce métier ! grommela la femme.

- Je crois qu’il vaut mieux qu’on s’en aille ! dit-il.

- Quel gâchis ! articula à grand-peine son épouse.

- N’oubliez pas les chaussures ! s’écria la patronne.

- Je vous dois combien ? demanda-t-il.

Elle lui indiqua le prix. Il s’empressa de payer en liquide, un peu gêné et ne souhaitant pas s’attarder davantage dans le magasin.

- Je vous remercie, madame…

- C’est moi, monsieur…

- Désolé pour le dérangement !

- Laissez, je ramasserai moi-même vos orteils ! répondit la patronne avec un sourire contraint. A moins que vous ne souhaitiez les récupérer ?

- Qu’est-ce que vous voulez qu’on en fasse ? dit la femme.

- Au plaisir de vous revoir ! répliqua la patronne en s’emparant d’une pelle et d’un petit balai.

Il enfila avec difficulté les chaussures neuves en laissant les anciennes dans le magasin. Il fut obligé de passer son bras gauche sur les épaules de sa femme pour marcher en claudiquant jusqu’à la plus proche station de taxis.

Une semaine plus tard, alors qu’il se trouvait en compagnie de sa femme dans l’escalator d’un grand magasin, il éternua soudain, bouche grande ouverte, car il était depuis toujours allergique à la poussière. Aussitôt, toutes ses dents furent projetées vers l’escalator qui descendait vers le rez-de-chaussée. Elles ricochèrent sur chaque marche avec un bruit mat, comme si c’étaient des perles qui venaient de se détacher d’un collier. Sa femme, qui se trouvait juste devant lui, se retourna, furibonde, et le fusilla du regard.

- Il faut toujours que tu te fasses remarquer ! s’écria-t-elle en colère.

Sans se préoccuper davantage de son mari, elle sortit précipitamment du magasin et s’enfuit en courant dans la rue.

Il perdit son oreille droite en jouant au tennis alors qu’il était en passe de gagner la partie. Son œil gauche tomba, un matin, dans son café au lait. Il ne chercha même pas à le récupérer. Du coup, il devint aveugle. Il perdit les autres doigts de ses mains en massacrant au piano une valse lente de Chopin, devant un aréopage d’amis consternés. Il cessa donc de pouvoir tenir une fourchette ou un stylo. Au cours d’un repas de mariage, il avala sa langue en mâchonnant avec difficulté une part de gâteau à la crème. Il perdit aussitôt l’usage de la parole, mais personne ne s’en aperçut vraiment. Quand, pour finir, son pénis se détacha brutalement de son corps pendant qu’il faisait l’amour avec sa femme, celle-ci, à bout de nerfs, bien qu’au bord de l’orgasme, annonça brutalement à son mari qu’elle le quittait.

Le lendemain, le choc de la rupture lui fit perdre la tête. Un promeneur distrait buta contre elle sur le trottoir et, d’un coup de pied rageur, la fit rouler dans le caniveau.

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